Pastoralisme sur les monts d’Ardèche : un mode d’habiter le territoire

Ethnographie –  photographies – capsules sonores

Ci-dessous, de courts extraits sonores enregistrés pendant l’enquête et proposés à l’écoute dans le cadre de l’exposition à la Maison du Parc des Monts d’Ardèche “Des moutons et des hommes.. toute une histoire!”

Cette étude a été initiée par un appel à projets du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche qui portait sur l’étude des pratiques pastorales ovines sur ce territoire. La démarche recherchée était double : enquête ethnographique et reportage photographique. Le calendrier du projet courait sur une période allant de juin à octobre 2014. 

Un des objectifs de l’étude était de contribuer à la production d’une connaissance sur le pastoralisme dans les Monts d’Ardèche, hier et aujourd’hui. Le projet était aussi porté par des enjeux contemporains de pérennisation de l’activité pastorale. 

Nous avons réalisé des enquêtes auprès de 21 éleveurs en activité, 4 personnes retraitées3, 2 bergers salariés de l’estive du Tanargue.  Nous avons rencontré des éleveurs sur les Cévennes Méridionales, les Hautes Cévennes, les Boutières, le plateau ardéchois, avec des troupeaux de tailles variées, diverses activités complémentaires et différentes situations de vie, installés depuis plus ou moins longtemps, dans un contexte de reprise ou non, travaillant seuls, avec un conjoint ou un associé, vendant en coopérative, à des grossistes ou en direct. Les entretiens étaient enregistrés ainsi que des moments de travail et l’environnement sonore. 

L’enquête ethnographique s’intéresse au point de vue des éleveurs, leur histoire de vie, leur conception du métier, ce qui motive leurs choix et modes d’exploitation, questionnant un certain rapport au vivant, à la terre, aux animaux, au paysage. La photographie vient nourrir l’observation, proposant une autre forme de rencontre, à travers la réalisation de portraits. Il s’agissait, à travers ces deux approches, d’étudier les relations qui se nouent entre des hommes, leurs troupeaux et leur territoire, à travers une activité d’élevage.

Le territoire dont parlent les éleveurs n’est pas le territoire administratif du PNRMA, c’est le territoire subjectif, vécu par chacun d’entre eux, territoire auquel il se sent appartenir : l’Ardèche, les Cévennes, et très souvent « la pente » qui reste une caractéristique territoriale presque unanimement partagée. C’est aussi le territoire resserré de son activité, qui est habité, travaillé : les terres pâturées, fauchées, et le territoire plus large et polymorphe dont il dépend : le plateau, la montagne, les crêtes, mais aussi les lieux d’abattage, de vente, à une autre échelle Bruxelles comme lieu où sont prises les décisions qui le concernent. Ces territoires de moyenne montagne, relativement isolés géographiquement, sont aujourd’hui reliés à l’Europe et au monde par un cadre économique dont les éleveurs dépendent pour subsister1 et la tension est forte entre les réalités locales et cet ordre global, à mille lieux des réalités des éleveurs que nous avons rencontrés et auquel ils sont sommés de se conformer.

Le contexte local est caractérisé par une ressource pastorale pauvre et des conditions d’exploitation peu mécanisables et difficiles. Subissant depuis l’après-guerre une forte déprise agricole, ces territoires sont gagnés par la broussaille et un ensauvagement que les agriculteurs, trop peu nombreux, ne peuvent plus maîtriser mais qu’ils parviennent, par leur travail et la présence de leurs troupeaux sur le terrain, à contenir. Les éleveurs vivent modestement, à l’image de la ressource disponible, conduisant des exploitations ovines peu rentables, le plus souvent combinées à des activités complémentaires. Les pratiques pastorales sont pour eux une façon d’habiter pleinement ces espaces montagnards, en étant par leur activité en relation et en interaction constante avec leur milieu. Insérés dans des relations de dépendance aux conditions climatiques, de sol, de flore, de faune, leur activité repose sur un équilibre toujours précaire. Dans ce contexte, on a affaire à des personnes qui toutes ont fait des choix de vie très affirmés et qui témoignent d’un fort attachement à leur lieu de vie. Une chose qui m’a beaucoup frappée en parcourant ces espaces avec eux est la connaissance intime qu’ils ont de leur milieu et le soin qu’il lui porte, comme si cette intimité qui s’arrête pour beaucoup d’entre nous aux murs de notre habitation ou de notre propriété s’étendait ici par delà les murs à chaque terre pâturée par leurs animaux.

Parler d’habiter, « c’est traiter la dimension géographique dans sa double portée essentielle, existentielle et politique. Autrement dit, habiter, c’est bien se construire en construisant le Monde. C’est la possibilité même de s’affirmer, singulièrement, par, dans, avec, voire contre sa géographie » Dès lors que l’on considère la notion d’habiter telle que l’a définie Olivier Lazzarotti, le monde intérieur, celui des représentations, de la pensée, des émotions, n’est pas séparé du monde extérieur et de l’observation des paysages. A travers cette notion d’ « habiter » on pourra s’interroger sur l’action des éleveurs et de leurs animaux sur les lieux qu’ils occupent, mais aussi sur l’influence profonde qu’exercent sur eux les animaux et le milieu ; comment le regard singulier qu’ils portent sur l’espace qu’ils habitent détermine la relation qu’ils entretiennent avec leurs voisins, comment la façon dont ils façonnent le paysage inscrit en eux une manière d’être au monde et marque le monde de leur passage.